mercredi 23 septembre 2009

passagers clandestins

A la terrasse d'un bar, près du Jardin des Plantes, un metteur en scène de théâtre m'a confié, un jour de juillet 2004, que l'essentiel était en art de trouver un destinataire à son oeuvre.

Je venais de finir la rédaction d'une pièce qu'une amie m'avait commandée. Après avoir signé une mise en scène des Bonnes de Genet, elle souhaitait travailler sur un texte inédit. (Pour la petite histoire, le projet n'a jamais abouti, il dort dans mes archives. En l'état, c'est sans doute ce qu'il avait de mieux à faire. Je compte le reprendre l'été prochain.)

Nous parlions structure, sujet, personnages, mais, dans le fond, une seule chose le préoccupait : pour qui l'avais-je écrite ? Je me souviens d'autant mieux de sa question qu'étant à son sixième ou septième verre de rang, il l'a répétée plusieurs fois :
"C'est très joli, ce que vous me dites là, mais pour qui l'avez-vous écrite ?"

Le récit, le sens, l'écriture elle-même peuvent être obscurs, indéchiffrables à d'autres que moi (avec le temps, j'espère gagner en clarté) ; une chose, néanmoins, me semble toujours plus ou moins lisible : à travers eux, je m'adresse à quelqu'un. C'est parfois évident, presque grossier. Comme si je faisais signe de la main.

Combien de romans, de chansons, de films pour séduire une fille ou - la saison suivante - lui demander pardon ; briguer l'estime, la reconnaissance d'un père ; répondre à un problème posé dans une autre oeuvre, une interrogation formulée, partagée par un ami ? Combien, pour régler un vieux compte ?
On peut écrire aux sociétaires de son Académie intime : ceux dont l'exemple a compté ; dont la parole a façonné, interrogé ou ébranlé ce que nous sommes. Robert McLiam Wilson, dont j'ai mis, en épigraphe de ce blog, la première phrase d'Eureka Street, serait l'un d'eux.
On peut écrire à ses morts, à ses parents et proches disparus, aussi bien qu'à l'enfant qui n'est pas encore né. (Et peut-être est-ce à lui, d'ailleurs, que l'on aurait le plus à dire.)

Mon roman, chacun de mes petits films et certains des textes postés sur mon précédent blog, Le Livre du Courtisan, avaient leur destinataire, embarquaient à leur bord un passager clandestin.

Pour autant, rien d'exclusif dans cette sorte singulière de relation ; rien qui interdise à d'autres d'y trouver leur compte, une résonance personnelle.

Cette idée préside, parmi d'autres, à la création de ce blog. Welcome on board.

3 commentaires:

  1. C'est une question intéressante, celle du destinataire. Je n'y ai jamais vraiment réflechi (j'ai plutôt tendance à jouer la chance en me disant qu'il y a bien quelqu'un qui va se sentir concerné), mais j'ai sans doute tort.
    Quoi qu'il en soit, je souhaite une belle vie à ce nouveau blog!

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  2. Merci Sad, je vais essayer de l'alimenter régulièrement en petites notes modestes.
    Pour ce qui est de la question du destinataire, je ne me la suis pas toujours posée aussi précisément, mais en ce moment ça m'intéresse.

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  3. C'est vrai ce que tu as dit! (désolée, je suis vraiment en retard dans les commentaires, mais bon!)
    Et si je te répondais que le principal destinataire de l'écriture..ou de la création même, serait toi? L'auteur en général de cet oeuvre!?
    En fait, on écrit pour soi, pour se libérer.

    C'est vrai que c'est une question intéressante!

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